Ciguë, c’est un collectif d’architectes présent notamment dans l’aménagement de magasins. Depuis sa fondation en 2003, Ciguë s’attache à produire des architectures à la croisée de l’espace, du design et de l’installation. Le désir de reconnecter l’architecture avec l’acte de faire nourrit chaque jour sa pratique. Chaque projet est envisagé comme un nouveau territoire d’exploration, de découverte et de nouveauté.
Basée à Montreuil, dans un lieu à la fois agence et atelier de recherche, l’équipe qui réunit aujourd’hui une vingtaine de personnes y développe des projets d’une grande diversité, du bâtiment public à l’objet sur mesure, en passant par la réhabilitation de lieux patrimoniaux, la création de lieux de vie, de lieux de production et de vente à travers le monde. Les associés actuels sont Camille Bénard, Julien Franc Wahlgreen, Guillem Renard et Alphonse Sarthout.
Mais l’agence Ciguë, tout comme l’éco-système de Montreuil, est spéciale. « Nous nous sommes donnés comme règle de jeu qu’aucun rebut ou gravat ne devrait partir en déchetterie. Soit par réemploi direct vers des filières structurées, soit par conservation et transformation sur le site même de leur production. L’ensemble des gravats produits par cette démolition ont été triés, concassés et criblés sur site pour être réintégrés dans le futur bâtiment, en particulier en granulats pour composer les futures chapes en béton de plâtre », souligne Camille Bénard.
Une belle mobilisation
L’étude de Ciguë sur les chapes de plâtre a été réalisée avec l’appui de l’usine de transformation de gypse en plâtre Vieujot, située à Soisy-sous-Montmorency, dans le Val d’Oise, en collaboration avec des chercheurs du laboratoire “Granulats et procédés d’élaboration des matériaux” au sein du département “Matériaux et structure” de l’université Gustave Eiffel, et le bureau d’études Le Sommer.
Elle a bénéficié du soutien de Pavillon de l’Arsenal, qui connaît et a déjà exposé des travaux de l’agence, et du programme FAIRE (créé en 2017), plate-forme expérimentale dédiée aux architectes, créée par le Pavillon de l’Arsenal avec le soutien de la Ville de Paris, de la Caisse des Dépôts, de Mini (voitures) et EDF. La démarche de l’agence est une illustration parfaite de ce programme.
Dans l’attente de la construction/réhabilitation de la parcelle du Haut-Montreuil, et à partir des gravats de la démolition d’un seul bâtiment, des études de comportements d’éprouvettes réalisées à partir de différents mélanges de plâtre et de granulats récupérés sur le site ont été menées en 2020/2021. Les résultats de cette étude ont été présentés au Pavillon de l’Arsenal fin 2021, agrémentés d’un fascicule qui détaille la démarche.
Plancher sur le plâtre à plancher
Pour commencer, l’étude revient sur une pratique ancienne et méconnue, le plâtre à plancher. « L’emploi du plâtre en application pour les planchers est une tradition ancienne, dont l’usage est attesté dès le XIIe siècle en Europe. » Aussi appelé plâtre à plancher, ce plâtre de sol n’est aujourd’hui plus produit que par la plâtrière de Soisy-sous-Montmorency, et mis en œuvre de façon confidentielle, dans quelques bâtiments historiques ou des réalisations haut de gamme ou très éco-engagées, par une poignée d’artisans qui en maîtrisent encore le savoir-faire. « Ce matériau dense et robuste rivalise avec certains bétons de ciment et permet une grande variabilité de mise en œuvre et de finitions : teinté dans la masse, lissé, ferré, poncé et poli… »
L’intérêt de ce plâtre à plancher est son bilan carbone, surtout lorsque le plâtre est abondant comme en région parisienne. Cet intérêt est décuplé par le bilan carbone de plâtre de récupération, notamment l’utilisation du plâtre des plaques de plâtre. Cela dit, l’étude qui a été menée n’a pas pu prendre en compte l’incidence du plâtre de récupération.
Sans doute, les grands industriels de la plaque de plâtre, intéressés par la démarche, vont se pencher sur cette question. Mais Marc Potin, directeur général de Plâtres Vieujot, tempère : « La solution plâtre reste, pour l’heure, plus chère que la chape ciment traditionnelle. Elle a surtout l’avantage de la recyclabilité ».
Une chape de plâtre en salle de bains ?
Comparé à la chape ciment, la chape en plâtre pur, et neuf, a un inconvénient, qui est la résistance à l’abrasion, plus proche de celle d’une chape anhydrite, mais c’est un peu biaisé, car les chapes ne sont pas laissées en finition. Utilisée comme sol fini, se pose le problème de la résistance à l’absorption. Une chape de plâtre dans une salle de bains ?
« L’application d’huile de lin cuite après polissage de la surface procure les meilleurs résultats sur la résistance à l’absorption du matériau et semble même avoir un effet favorable sur sa dureté de surface. Même si cela reste à démontrer dans le cadre d’essais approfondis. Enfin, l’emploi de savon noir, nettoyant naturel à base d’huile végétale et diluée dans l’eau, est envisagé pour l’entretien régulier du sol. » En fait il s’agit d’un produit « à base d’huile de lin » comme ceux utilisés pour les tomettes.
Plâtre et briques plâtrières
Mais revenons à la règle du jeu de l’agence, qui était de réemployer tous les gravats. L’enjeu est de mélanger ces gravats au plâtre et de mesurer les performances. Pour cela, les matériaux ont été concassés et les granulats obtenus triés par taille. Pour la faire courte, le mélange de plâtre et de granulats à base de béton n’est pas très probant. Par contre, le mélange raisonné de plâtre et de granulats à base de briques, notamment des briques de plâtre, est intéressant. Il manque, il est vrai, les résultats de laboratoire associant les briques concassées à du plâtre de réemploi.
Le béton n’est pas négligé, car dans la démarche, l’agence l’identifie comme une bonne solution de nappes acoustiques sous forme de granulats, sans liant, en sous-couche associée dans un complexe.
Si l’on voulait tirer une conclusion provisoire de cette étude, il serait avisé de déconstruire, si besoin est, des parois de plâtre sur brique, ces parois si courantes en France jusqu’à l’imposition de la plaque de plâtre sèche il y a 50 ans. Il faudrait cependant séparer le plâtre de la brique et concasser la brique de façon adéquate, puis remélanger le tout pour la chape de plâtre, sous réserve d’un bon comportement du plâtre recyclé.
Cela voudrait dire que les opérations de curage devraient récupérer les parois plâtre comme tel, ce qui fonctionne assez bien avec les pratiques de démolition dans la mesure où elles ne sont pas porteuses, et que la présence même minime de plâtre est la plaie de toutes les livraisons de gravats de béton.
Ou bien, il s’agirait de récupérer le plâtre des plaques de plâtre sur site, et de le mélanger avec des gravats présents, mais de façon raisonnée en termes de calibres et de matières. Outre les aspects techniques, des aspects esthétiques indéniables peuvent entrer en ligne de compte.
Ne rêvons pas
La limite écologique de l’exercice serait, par exemple, de justifier la destruction de bâtiments pourvus de parois en brique plâtrière. Quoi qu’il en soit, sur le papier, la brique plâtrière et l’enduit de plâtre gagneraient à la fois en termes de bilan carbone, et en valeur marchande, en neuf ou en récupération. Ce qui ne va pas forcément dans le sens du tout plaque de plâtre que l’industrie du plâtre déroule depuis 50 ans.
D’ailleurs, dans ce cadre, le cheval de bataille de la Rep est l’incorporation de plâtre de récupération dans les plaques de plâtre, et pas les expérimentations de mélange de plâtre avec des briques de plâtre concassées, ou des tuiles en terre cuite qui relèvent de la prochaine étape d’expérimentation.
Proposer au marché, des chapes de plâtre associant du plâtre neuf à des briques concassées devrait dépasser les possibilités des trois grands acteurs du plâtre en France ou en Europe. Reste des intervenants de niche comme Plâtres Vieujot, qui pourraient contribuer à réutiliser une petite partie des 500 Mt de gravats attendus en région parisienne pour les années qui viennent, notamment à cause du Grand Paris Express.
Tant il est vrai qu’une bonne partie des destructions de logements et bâtiment vient directement de la politique infrastructurelle. Et l’on verra alors si l’offre s’orientera vers une sorte de terrazzo de récupération, une chape à recouvrir ou qui sait du ragréage.
Jonas Tophoven