Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans une étude du marché sur les chapes ?
Anne-Laure Vervier : Il y a eu un double mouvement. C’est déjà une demande de nos clients et du milieu. Nous travaillons depuis plus de 30 ans dans le domaine du bâtiment et lors de nos échanges avec les acteurs du secteur, il nous est apparu clair que ce sujet était intéressant.
Quelle est la méthodologie utilisée pour la réalisation d’une étude de marché ?
Nous partons de bases chiffrées de précédents rapports MSI Reports sur des domaines liés comme, pour les chapes, les produits d’isolation thermique ou les planchers. Mais pour les chapes, cela n’avait jamais été fait auparavant. Nous nous sommes basés sur la classification “Sit@del” pour établir notre étude. Ensuite, il nous a fallu contacter par téléphone, un à un, les fabricants de chapes de chaque catégorie, les adjuvantiers, le CSTB, et un nombre conséquent de chapistes, applicateurs et entreprises générales du bâtiment. Eventuellement, quelques institutions. Nous avons pré-établi un guide d’entretien, qui nous sert alors de fil conducteur lors de nos échanges. Et nous leur avons demandé d’estimer les différentes données du marché français pour chacune des catégories de chapes et pour chaque secteur utilisateur.
Quel est le taux de pénétration des chapes dans les différents types de bâtiment ?
Dans le secteur résidentiel, 95 % des chantiers de maisons individuelles intègrent des chapes. Alors que dans le collectif, le taux est de 90 %. Et dans d’autres secteurs du marché, le taux est plus faible. Ainsi, dans le milieu industriel, le taux de pénétration n’est que de 10 %. Alors que dans les commerces, il est de 65 %, 45 % pour les bureaux et dans les hôtels de 60 %. Dans ces secteurs, il est en effet d’usage de recourir à d’autres types de sols, comme les sols techniques au sein des bureaux ou des revêtements de sols industriels en industrie, par exemple. Concernant les hôtels, certains systèmes de sol ne recouvrent qu’un simple revêtement de sols moquette ou plastique, par exemple qui, lui-même, gère pour une part l’aspect thermique et acoustique.
Il faut bien préciser que ce taux de pénétration des chapes fluides semble parallèle à la pénétration des chauffages par le sol dans les différents segments du bâtiment. C’est sans doute l’un des marchés les plus porteurs, et qui est en forte croissance d’une année à l’autre. Même si, bien sûr, nous avons peu de données sur les périodes précédentes. Il nous semble cependant que la disponibilité des camions-toupies et des centrales produisant de la chape pourrait être une limitation du développement.
Le réseau et les infrastructures de la chape fluide sont-ils suffisamment adaptés aujourd’hui, compte tenu de son fort développement ces dernières années ?
Oui et non. En quelques années, la chape fluide a été boostée. Et ce, surtout ces derniers temps. Mais pour pouvoir assoir cet avantage et poursuivre sa conquête du marché, il faut des centrales qui produisent des chapes. Dans des régions comme l’Ile-de-France par exemple, il peut y avoir des moments de tension sur les approvisionnements. De même, dans les campagnes, il peut y avoir peu de fournisseurs. Les camions mobiles apparaissent dans ce cas comme une solution adaptée. Ainsi que des investissements dans les moyens de production. Ce sont des voies d’évolution intéressantes pour les industriels, qui, pour certains, y ont diversifié leur activité ou créé de nouvelles opportunités.
Article paru dans le numéro 1 de Chapes-Info
Comment se répartissent les mises en chantier de chapes traditionnelles, de chapes fluides et de chapes sèches sur chacun des segments du bâtiment ?
Pour notre étude, nous avons effectivement choisi de déterminer la répartition en trois types de chapes : fluides, traditionnelles et sèches. Dans les logements individuels, les chapes fluides occupent 68 % du marché et les chapes traditionnelles pas moins de 23,5 %. Le reste étant dévolu aux chapes sèches (8,5 %) en 2021. Le rapport s’inverse dans les logements collectifs, puisque les chapes traditionnelles représentent 66 % des parts de marché en 2021, les chapes fluides atteignent 31 %. Les chapes sèches obtenant 3 %. La chape traditionnelle reste aussi majoritaire dans les commerces avec 64,6 %, contre 34 % pour les chapes fluides (1,4 % pour les chapes sèches) en 2021. Enfin, dans des secteurs comme l’enseignement, les chapes traditionnelles obtiennent 58 %, les chapes fluides 40 % et les chapes sèches 2 %. Il faut bien noter que ce rapport semble évoluer à l’avantage des chapes fluides.
Comment expliquer ces répartitions et la domination des chapes traditionnelles dans certains secteurs ?
Déjà, il y a une part historique. Il s’agit de la technique, comme son nom l’indique, la plus traditionnelle. Ensuite, les chapes fluides, grâce à de profondes innovations en termes de formulation qui a d’“un coup” fortement réduit les sinistres sur chantier et dont la technique d’application est beaucoup moins pénible et plus “rapide” que celle des chapes traditionnelles, se sont développées très vite en quelques années. Le recours aux chapes fluides permet aussi de ne pas nécessiter de place sur le chantier pour le stockage et uniquement le va-et-vient des camions-toupies, qui réalisent alors l’application en quelques heures. Beaucoup de secteurs d’activité, notamment au sein des logements individuels, se sont alors laissés tentés et conquis par ce système.
L’autre parallèle, comme je l’ai dit, s’est également fait avec les planchers chauffants très en vogue au sein des maisons individuelles ces dernières années, marché où la chape fluide est très présente et très bien perçue.
Selon votre analyse et vos données, existe-t-il des disparités régionales et comment vont-elles évoluer ?
Oui, nous pouvons constater une forte opposition entre Nord et Sud. Le premier étant davantage tourné vers les chapes fluides, le second vers les chapes traditionnelles. Cela s’explique notamment par plusieurs facteurs :
- des raisons historiques et la présence d’entreprises du bâtiment, dont les ouvriers sont peu chers et très attachés à cette méthode traditionnelle ;
- le recours plus important en chauffage par le sol dans le Nord que dans le Sud ;
- le fait que la technique des chapes fluides est très développée en Belgique et en Allemagne, les régions frontalières de la partie Nord. La pénétration de la technique s’explique aussi par des contacts avec les marchés de nos voisins ;
- le recours important jusqu’en 2020 dans le Sud à la méthode de pose scellée de carrelage. Beaucoup considèrent ainsi que la modification du champ d’application du DTU 52.1 Revêtement de sols scellés en 2020 (très utilisée dans le Sud) sera alors une réelle opportunité de développement pour les chapes fluides dans cette région.
Est-ce que l’on remarque aussi une opposition ville/campagne ?
Cette opposition est structurelle. Le réseau de centrales à béton, dont dépend la production de chapes fluides, est bien plus dense autour des villes. Certains fabricants sont aussi plus présents dans certaines régions ou dans certains territoires. Certains sont ainsi mieux dotés que d’autres.
L’autre difficulté réside dans la disponibilité des camions-toupies dans certains territoires ou régions et la concurrence d’autres activités, qui en nécessite comme la construction neuve ou la voirie. Certaines entreprises (fabricants de chapes ou entreprises indépendantes) y voient ainsi une réelle opportunité, en développant leur propre flotte de camions mobiles, dont la particularité réside dans la possibilité de fabriquer dans le camion la chape fluide. Encore inexistants (ou presque), certains fabricants ou entreprises indépendantes réfléchissent à créer une flotte de camions mobiles pour chapes traditionnelles (ce qui existe déjà dans certains pays limitrophes comme la Belgique notamment). Ce qui, selon eux, pourrait aider ce marché à conquérir (ou du moins, sauvegarder) certaines parts de marché, en simplifiant grandement l’application sur chantier, les délais, les conditions de stockage. Et donc indirectement les coûts.
Quelques données de l’étude font apparaître des résultats intéressants. Par exemple, quelle est la répartition des types de fibres lorsqu’elles sont utilisées ?
Les fibres métalliques représentent 60 % des utilisations de fibres, les fibres non métalliques émargeant à 40 %. Les différences se font en fonction des besoins de chaque chantier. Ces fibres ont alors pour principal effet d’accroître la durabilité et la résistance de la chape. Les différences entre ces types de fibres portent sur leurs performances et leur action sur la chape. Des différences sont aussi à considérer, en termes de prix, en faveur des fibres métalliques.
Quelle est la répartition des différents matériaux utilisés pour les chapes sèches ?
Les chapes sèches sont très appréciées dans le cadre de travaux de rénovation. En effet, comme leur nom l’indique, elles sont tout de suite sèches et permettent ainsi de poser très rapidement le revêtement de sol et les équipements. Par ailleurs, leur second avantage reste leur faible poids. Elles sont donc recommandées dans le cadre de l’installation de planchers bois par exemple.
Concernant leur répartition par type, une forte majorité d’entre elles sont constituées de granulats associés à des panneaux rigides (95 %), alors que la solution n’impliquant que des panneaux seuls est minoritaire (5 %). A l’intérieur de la solution “panneaux + granulats”, le béton cellulaire représente 50 % des parts de marché. Les billes en argile expansée atteignent 45 %. Le reste étant constitué d’autres solutions, telles que les roches volcaniques. Dans la solution de panneaux, ce sont les panneaux en fibre-gypse qui sont majoritaires (51 %), alors que ceux en plâtre représentent 46 %. Le reste étant composé de panneaux en bois.
La nature des matières utilisées pour chacun des panneaux et la suprématie de certaines matières correspondent au profil des acteurs présents sur ce marché qui profitent de leur savoir-faire et expérience de ces matériaux pour d’autres applications en sol, murs ou combles par exemple.
Est-ce que le marché de la chape est figé dans sa structure ou bien des mouvements sont-ils à prévoir ?
Non, bien au contraire. Avec les changements au niveau des Avis techniques liés aux chapes fluides, beaucoup de professionnels s’interrogent sur le devenir du marché. Pour ces derniers, il s’agira au marché et aux acteurs de s’adapter, notamment en développant l’accompagnement de leurs clients et applicateurs en termes de formations, mais aussi en termes de contrôles sur chantier. A condition que la course au prix ne tire pas l’ensemble du marché vers le bas. Ce qui rendrait la tâche plus compliquée et jouerait certainement sur la qualité de mise en œuvre.
Comme autres changements possibles, il peut aussi y avoir des regroupements liés par exemple à la volonté de créer des systèmes complets entre l’isolation, la chape et le plancher chauffant. Le secteur va aussi devoir développer ses offres de services pour ses clients.